DÉCRYPTER L’INFORMATION

SÉANCE 4 : DÉCRYPTER LES DIFFÉRENTS MÉDIAS

Fiche pédagogique 11

CHAPITRE 11 – LES RÉCITS DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF DES BALKANS

Niveau : Difficile

Objectifs pédagogiques

Objectif 1 : Approfondir la question des mythes et leur fonction

Objectif 2: Aborder des exemples de mythes propres à la région

Objectif 3 : Interroger la place du cinéma comme vecteur de mythe et comme outil de déconstruction du mythe

MYTHES DANS LES DISCOURS POLITIQUES

Typologie et fonction des mythes

 

Définition : Le mythe est une construction imaginaire qui sert d’explication, de fondation à certaines pratiques sociales, et représente un facteur de mobilisation. Mais c’est aussi un mode particulier de discours, semblable au rêve et à la légende. D’après l’historien français Raoul Girardet, la place occupée par l’imaginaire dans l’histoire des idées politiques est importante, car il explique parfois la puissante attirance qu’ont exercé certains systèmes politiques dénués de fondement religieux.

 

Les jeunes républiques post-yougoslaves sont toutes concernées par la question de la diffusion de mythes nationaux et des symboles destinés à créer un sentiment commun d’appartenance à la nation ou à la communauté. L’historien Raoul Girardet propose quatre thèmes récurrents que l’on retrouve dans la plupart des mythes et qui montrent l’importance fondamentale de l’imaginaire dans l’évolution des idées politiques et de la société :

 

  • Le mythe de l’unité : C’est l’exaltation de la patrie, du collectif et de la communauté, représenté par un seul groupe d’individus semblables (renforcement de la logique d’opposition : eux/nous)
  • Le mythe du sauveur : Il s’agit de mettre en avant la figure du héros, du guide à qui l’on s’identifie comme un modèle et qui procure une légitimité.
  • Le mythe de l’âge d’or : C’est l’idéalisation de l’ancien temps, la nostalgie d’une époque et l’attachement à des éléments du passé pour chercher une stabilité présente et future.
  • Le mythe du complot / de la conspiration : Il s’agit de la désignation de coupable extérieur, la mise en avant de la figure de l'ennemi responsable des malheures de la communauté et qui incite les individus à se mobiliser contre ce dernier.

 

Les mythes et leur utilisation politique apparaissent généralement dans les périodes critiques, dans les moments de crise d’identité ou de malaise lié aux mutations de la société et du mode de vie. C’est lorsque les tensions internes croissent que le mythe devient nécessaire, l’imaginaire réagissant alors à des changements, des pertes de repères ou des remises en question des traditions. Ces mythes ont donc une fonction politique claire : mobiliser la population autour d’une histoire et de repères communs.

 

De la même manière qu’une image peut résumer un concept ou un événement, le mythe nourrit l’imaginaire des individus. Ce phénomène peut s’intensifier selon les groupes de personne, notamment chez les jeunes en quête d’identité, ou d’explications sur le monde qui les entoure, ou encore confrontés à un avenir incertain.

 

 

EXEMPLES DE MYTHES IMPORTANTS DANS LA RÉGION DES BALKANS

Dans toutes les cultures il existe des mythes variés et tous n’ont pas la même fonction, mais la richesse culturelle des Balkans permet le développement et la diffusion de nombreux mythes propres à la région.

 

Exemple : “Les descendants d’Alexandre le Grand”

 

En Macédoine du Nord, le mythe selon lequel les macédoniens seraient les héritiers d'Alexandre le Grand est très répandu alors même qu’il est impossible de faire coïncider le territoire de la Macédoine contemporaine avec celle de l’époque, ou même de trouver une filiation entre les populations qui habitaient autrefois ces terres et celles qui les peuplent de nos jours. Si la Macédoine du Nord chevauche en partie les régions que contrôlait Philippe II à sa mort, en 336 avant J.C, le coeur du royaume d’Alexandre le Grand se trouve principalement en Grèce près de Vergina. De plus, les citoyens des pays des Balkans d’aujourd’hui sont le résultat de brassages complexes, alimentés par les invasions et migrations successives qui ont balayé la région depuis plus de deux millénaires.

 

Ces mythes alimentent pourtant les discours des courants nationalistes contemporains des Balkans, qui cherchent à affirmer l'antériorité de leur peuple sur un territoire donné, afin de prouver la légitimité de leurs prétentions.

 

La diffusion d’un mythe peut alors contribuer à crisper les relations entre des communautés ou des peuples dans la région. En effet la question de l’héritage macédonien d’Alexandre le Grand a ravivé des tensions entre la Grèce et la Macédoine du Nord lors des débats sur le changement du nom du pays en 2018. Les courants nationalistes Grecs, estimant que le terme de « Macédoine » appartient au patrimoine hellénique, refusaient que l’ancienne république yougoslave puisse utiliser ce nom. Ce qui a donné lieu à plusieurs manifestations violentes dans les deux pays.

 

Exemple : Le mythe de la « fraternité orthodoxe »

 

En Serbie, au Monténégro et en Macédoine du Nord, un lien fort avec la Russie subsiste dans l’esprit de beaucoup d'habitants, alimenté par le sentiment qu'une "fraternité orthodoxe" les unirait particulièrement à ce pays. Selon une étude menée fin 2017 par le gouvernement serbe, un quart des habitants (24%) désignent la Russie comme principal donateur (aide financière et dons matériels) à leur pays, alors que 75% des dons et des aides viennent de l'Union Européenne ou de pays membres. De même, plus de 70% des investissements étrangers entre 2010 et 2017 sont venus de l'UE, contre quelques 10% de Russie, selon les chiffres de la Banque nationale serbe.

 

Ce mythe se base donc sur une relation plus émotionnelle que rationnelle qui perdure, entretenue par certains responsables politiques, comme le président serbe Aleksandar Vučić ou Milorad Dodik de Republika Srpska.

 

Pour limiter leur impact négatif, la déconstruction des mythes passe nécessairement par un travail de recherche et d'approfondissement historique et/ou journalistique. Cependant il n’est pas toujours facile de procéder à un travail de recherche sur des sujets encore sensibles pour les individus et pour les gouvernements des différents pays impliqués. Le manque de moyen des journalistes, le manque d'intérêt pour la recherche historique dans les médias et la rapide diffusion des théories du complot sur internet peuvent ralentir l’avancée de la recherche et la déconstruction de certains mythes persistants.

 

A ce titre l’association “Krokodil” a lancé une initiative en juin 2020 à Belgrade contre l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques. Le but étant de créer un espace de dialogue historique et interculturel dans les pays nés de l’éclatement de la Yougoslavie, et d’encourager une culture plus inclusive de la mémoire.

 

Enfin, certains canaux de diffusion d’information peuvent servir à contourner cette problématique de l’étude historique et du peu d’importance des médias pour cette thématique sérieuse, comme c’est le cas avec le cinéma.

 

 

LE CINÉMA : ENTRE EXPRESSION CITOYENNE ET VECTEUR DE MYTHE

La promotion des mythes nationaux est parfois conduite aussi à travers le cinéma, qui y trouve une source d’inspiration et s’assure un impact important sur l’imaginaire des individus. En effet, à moins d’avoir une culture historique importante et spécifique sur le sujet en question, il est parfois difficile de juger de la véracité des événements mis en scène dans une oeuvre cinématographique. Aussi il n’est pas rare que certains films proposent une lecture biaisée des événements, voire alimentent et propagent certains mythes, légendes et idées reçues.

 

Exemple : Fin 2017, la RTS (télévision nationale serbe), produit et diffuse la série Senke nad Balkanom (« Ombres sur les Balkans »), du réalisateur Dragan Bjelogrlić. L’action se déroule à Belgrade, capitale du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, puis du Royaume de Yougoslavie, dans les années 1920-1930. Cette série présente cette période comme un âge d’or pour le pays. On a déjà pu voir l’adaptation pour la télévision de la trilogie de Mir-Jam, (Ranjeni orao, Nepobedivo srce, Samac u braku), entre 2008 et 2014, et du film qui a donné lieu à une série, Montevideo, Bog te video (2012-2014), sagas qui abordent cette même période de l’histoire nationale avec nostalgie.

 

Cependant, le cinéma peut aussi être utilisé comme un instrument puissant de déconstruction et comme un mode d'expression de la société civile permettant d’aborder d’importants enjeux de société et d’actualité.

 

Exemple : Le court métrage “Take me somewhere nice” sorti en 2019 et réalisé par Ena Sendijarević une jeune réalisatrice d’origine bosnienne, met en scène une jeune femme bosnienne installée aux Pays-Bas avec sa famille qui retourne dans son pays natal. Cette oeuvre aborde donc la question de l’immigration, de l’interculturalité, du nationalisme et d’un retour aux racines parfois compliqué pour les jeunes générations.

 

Exemple : Le film « Before the Rain » du réalisateur macédonien Milcho Manchevski qui a obtenu le lion d’or au festival de Venise en 1994, évoque la question de la guerre et des tensions ethniques entre Macédoniens et Albanais.